@ffinités
Il est cependant difficile de savoir si ce surnom a priori péjoratif ne découle pas, à l’inverse, du choix délibéré de cette couleur symbolique par les défenseurs zélés de leurs propres employeurs, le jaune s’inspirant du drapeau du Vatican contre le chiffon rouge des communards. De fait, en décembre 1901, l’Union fédérative des syndicats et groupements ouvriers professionnels de France et des colonies est officiellement créée avec les subsides du Comité des Forges (entre autres). Comme cette appellation à rallonge est malcommode, on lui en substitue rapidement une autre : Fédération Nationale des Jaunes de France, fondée par Paul Lanoir qui, dès mars 1902, synthétise ainsi son credo en trois mots : «Travail, Famille, Patrie», devise promise à l’avenir qu’on sait quarante ans plus tard.
En avril 1902, Pierre Biétry reprend les rênes du mouvement et rédige une sorte de bréviaire intitulé Le Socialisme et les Jaunes. Outre une fixette antisémite flagrante, l’ex-leader de l’éphémère Parti Socialiste National y ébauche une sorte de synthèse corporatiste : «Réaliser la renaissance nationale en créant la réconciliation des classes sur un programme de justice sociale.» Un an plus tard, la référence au socialisme est jetée aux oubliettes. La jeune Action Française et d’autres ligues patriotiques voient dans ces «groupes anti-collectivistes» et leur Bourse du travail «indépendante» une force nouvelle capable de faire face à la montée en puissance d’une CGT alors sous forte influence libertaire.
Financièrement, ce Mouvement Jaune est soutenu par de riches parrainages, celui du duc d’Orléans ou de la duchesse d’Uzès. Présent dans l’Est, le Nord et la région parisienne, ce syndicat autoproclamé « jaune » (Fédération Nationale des Jaunes de France) pourrait avoir atteint 100 000 adhérents l’année de sa (re-)création en mai 1908. Autre surgeon du même mouvement, le Parti Propriétiste, fondé par le même Pierre Biétry, valorise « la participation » et « la grande famille du travail » unie dans une « inséparable communauté d’intérêts » contre les partisans haineux de la « lutte des classes ».
Alors que depuis 1906, sous l’impulsion du radical-socialiste Clemenceau, la répression s’accentue face à l’essor d’un syndicalisme d’action directe – qui avec la Charte d’Amiens voté par la CGT prône le boycottage et le sabotage –, les « jaunes » sont désormais la providentielle armée de réserve d’une soldatesque noyant dans le sang la moindre tentative de grève générale. Le vent va bientôt tourner. Tandis que la combativité ouvrière connaît un certain reflux, en 1909, le nervi patronal en chef Bietry va jusqu’à proposer de « clouer la charogne de Jaurès vivante contre une porte. » C’en est trop. Ses excès de langage et son ancrage au sein de la droite extrême (un temps auprès de Charles Maurras puis plus durablement aux côtés de La Libre Parole de Drumont) l’ont rendu encombrant pour les gestionnaires étatiques (de centre gauche ou de centre droit) qui se partagent le gâteau au Parlement.
Le baroudeur anti-judéo-socialiste va tenter l’aventure en Indochine où il mourra en 1918. Quant à son mouvement d’idiots utiles au service des grands industriels, il a disparu aussi vite qu’il est apparu, faute de financement. Pour réapparaître sous d’autres prête-noms, dans les années 30, puis les années 70,
et caetera.
Toute ressemblance entre le précédent historique brièvement évoqué ci-dessus et, un gros siècle plus tard, la manif sauvage qui, jeudi dernier, a fait voler en éclats les portes vitrées du siège (anti-)social de la CFDT à Belleville, non sans entamer quelques pans de verre latéraux… pourrait bien ne pas être fortuite.
Qu’on en juge par ce tag sans équivoque laissé sur place…
Arrivé devant l’Hôpital Necker, le champ de ruine ne saute pas aux yeux, c’est le moins que l’on puisse dire. Une seule vitre a volé en éclat, déjà remplacé par une feuille de contreplaqué. Une petite dizaine d’impacts au marteau, surlignés de scotch armé orange, sont aussi visibles sur les double-vitrages avoisinants. Un ou deux tags en plus… et voilà tout. Même pas une faute lourde de non-sens, juste une faute de goût sans dégâts collatéraux ni vilains bobos pour personne.
C’était donc ça — une erreur bénigne de balistique mal raisonnée — qui nous a valu depuis hier soir la fable d’une «attaque» puis de la prétendue «dévastation» de l’Hôpital des Enfants Malades où, parmi tant d’autres gamins en souffrance, l’ex-otage en bas-âge d’un fanatique daéchien tentait de retrouver ses esprits. Aucun rapport a priori, mais puisqu’il est désormais question de criminaliser les « casseurs » en les amalgamant à la figure de l’ennemi intérieur djihadiste, rien n’est trop énorme pour accréditer ce bobard faisandé.
Trêve de storytelling, un flash-back s’impose si l’on veut distinguer la part réelle des responsabilités. Hier, vers 16h30, alors que les forces de l’ordre avaient réussi puis échoué puis recommencé à couper/nasser la tête de manif, c’est à ce carrefour stratégique de la rue de Sèvre et du boulevard Montparnasse (métro Duroc) que la Préfecture avaient décidé de placer un très gros bataillon de CRS aux abords dudit hosto et en vis-à-vis un canon à eau. De fait, à l’arrivée du cortège massif, occupant chaussée et trottoirs, la police a chargé, choisissant de fixer l’affrontement pendant plus d’une demi heure aux immédiats parages de ce lieu de soin.
Et maintenant, cessons de travestir une réalité qui pourtant crève les yeux (comme un FlashBall justement). C’est à la Police d’assumer toute l’indignité de sa géo-stratégie irresponsable : noyer de gaz lacrymogène la rue jouxtant un Hôpital (avec les risques d’enfumage des ventilations de l’établissement), y faire assaut de grenades de désencerclement (ayant en cet endroit précis atteint plusieurs manifestants couchés au sol, ce qui avait déjà eu lieu au croisement précédent, propageant la rumeur infondée semble-t-il d’un ou deux morts et enrageant d’autant tout un chacun parmi les manifestants), avant de mettre en branle le fameux canon à eau, posté là en embuscade selon un scénario mûrement réfléchi. Ainsi serait-il préférable de ne pas inverser les rôles et plus que temps de demander des comptes au ministre de l’Intérieur pour le choix délibéré d’un telle tactique, si irrespectueuse d’un havre de paix que doit être un centre hospitalier. Le reste (un malheureux carreau cassé) n’est qu’enfantillages, montés en épingle pour effarer les téléspectateurs dans leurs chaumières et rassurer les Panama-Bankers et autres châtelains du pouvoir socialiste.
Bien sûr, il y aurait d’autres épisodes à évoquer à propos de la journée d’hier, mais quelques extraits d’aphorismes urbains y pourvoiront.