Yves Pagès – Pour ce livre collectif d’enquêtes sociale, j’ai proposé deux zones d’ombre : la prostitution depuis sa récente éradication de l’espace publique ; la discontinuité du travail hors la seule intermittence du spectacle. Premier terrain d’étude : deux anthropologues Marie-Élisabeth Handman & Françoise Gil, croisées aux obsèques de Grisélidis Réal, m’ont aidé à rencontrer une dizaine de prostituées des Bois de Vincennes et de Boulogne ainsi qu’un travesti, Maîtresse Nikita, futur cofondateur du Strass (syndicat du travail sexuel). Contraintes de format oblige, il reste peu du récit de ces femmes, de leur désertion du salariat « normal », de leur refus du discours « victimaire » qui, porté à l’unisson par quelques féministes, associations bigotes et nouvelles brigades de répression, renforce clandestinité, insécurité sanitaire et préjugés xénophobes envers les tapineuses sans-papiers. Second terrain d’étude : de belles rencontres via la Coordination des Intermittents & Précaires. Des parcours existentiels hybrides et fluctuants, où temps de chômage (indemnisé ou non), contrat-mission de courte durée et usage de soi sont indémêlables. Bilan contrasté : entre anxiété du provisoire, assujettissement à la tâche et autonomie préservée. D’autant que l’administration en profite pour radier tout ce qui ne cadre pas, cloisonnant chaque cas en sous-statut exclusif et poussant ainsi à la fraude structurelle. Alors, des atypiques ? sans doute, mais qui constitue une minorité de masse, sans regret envers la stabilité « idéale » de l’emploi, qui préférerait au bon vieux temps des acquis sociaux l’obtention de droits nouveaux. D’où le contraste de cet article avec le ton plutôt déploratif, nostalgique et misérabiliste du livre entier.