Au fond du couloir ou en bas de l’escalier, dans les toilettes de n’importe quel bar, chiottes à la turc ou à lunette, l’envie de soulager un besoin pressant, et puis de s’attarder pour déchiffrer, au revers de la porte close, le vrac de petites annonces ici confinées… Ça a été mon premier cabinet de lecture libidinale, au sortir de l’enfance, quand on guette partout l’occasion de se déniaiser. J’y ai pris goût – et le dégoût envahissant qui va de pair – à surprendre la moindre trace laissée par d’autres accroupis de passage : fantasmes débridés, levrettes à la chaîne, curriculum bitæ, rimes riches, métaphores alambiquées, prophéties auto-bandantes, misère de la scatologie et gloriole maladroite, le tout répété à l’infini selon d’infimes variantes. Et si ces proses d’urinoir se font plus rares aujourd’hui – ripolinage hygiéniste oblige –, il y a moyen de retrouver la mémoire presque complète de ces éphémères obscénités, en parcourant la seule vraie anthologie qui leur ait été consacrée : Sexe & Graffiti, d’un certain Ernest Ernest, « documentaliste scientifique » qui a préféré garder l’anonymat et dont le pseudo n’a aucun rapport avec le sérigraphiste mural Ernest Pignon-Ernest. Sa compilation maniaque de 350 pages a été publiée en 1979 par l’éditeur à scandale Alain Moreau, préfacée par le critique d’art Alain Jaubert – à moins qu’il n’en soit le secret auteur –, sans grand écho à l’époque et jamais repris en volume depuis. Faute de mieux, de larges extraits ici même. – archyves.net – yves pagès – alain jaubert