Yves Pagès – Fin 1997, le trentième anniversaire de mai 68 pointait le bout de son nez, avec son avalanche de livres commémoratifs. Premier réflexe : inutile d’ajouter un pavé nostalgique à ces coups de bluff éditoriaux. J’ai pourtant repensé au tapuscrit repéré de longue date parmi les archives familiales, ce « relevé des inscriptions sur les murs de la Sorbonne », établi par ma mère et quatre collègues d’un labo du CNRS, grévistes actifs pendant les événements. Décision est prise, chez Verticales, de le publier malgré tout. À l’image du document initial, l’ouvrage est sobrement composé, sans effets typo, ni icono tapageuse. On y retrouve les fameux aphorismes situationnistes, mais aussi le vrac d’un défouloir potache, et entre ces deux pôles, la multitude des slogans rageurs visant l’union sacrée des gaullistes et des staliniens, frères ennemis du « vieux monde » d’alors. Sur la couverture, seul parti pris affiché, celui d’un nom d’auteur fictif : no ©opyright, hommage discret aux puissances poétiques de l’anonymat collectif. Quant au risque d’embaumer ces graffitis-là dans un mausolée patrimonial, difficile d’y échapper. Reste l’envie, sur ce site, de leur donner une continuité vivace en archivant dans le même esprit les traces d’agitations textuelles apparues depuis les années 70, de compiler tracts, slogans, tags et flyers, maintenant que ces écrits éphémères semblent revenus à leur invisibilité naturelle.