Yves Pagès – Au départ, un ami d’ami me raconte son rôle d’acteur de complément à Disneyland. J’oublie et puis j’y repense : ça donne le petit monologue intérieur de Pluto. Ma compagne m’apprend l’arrestation d’une figurante sans-papiers lors d’un tournage à Roissy. Une copine m’explique comment elle bidonne ses sondages au bistro. Une autre me décrit son stage de formation pour bosser à l’ANPE. Le frère d’une amie me décrit son job d’audit mercenaire avant dégraissage des boîtes visitées. Chaque fois, l’amnésie sélective efface aux trois quarts l’anecdote. M’en reste un geste déplacé, un lambeau de phrase, un paradoxe à vif. Ensuite, je m’obsède sur ces détails, je les remets en situation, je me documente sur le contexte et j’invente la suite dans les interstices. Mais ces textes courts auraient manqué leur unité si le rapport ambivalent au « travail » ne m’avait pas hanté de longue date, dans mon vécu quotidien (entre refus de l’emploi à perpétuité et angoisse du provisoire à crédit), comme sur le champ politique (lecture précoce des opéraïstes italiens Paolo Virno, Toni Negri ou Oreste Scalzone et implication dans des collectifs de chômeurs, intermittents & précaires). Si j’ai réussi un truc avec ce livre, c’est produire un hybride socio-littéraire, et d’abord son énumération introductive, « Pseudo pseudo », qui a déjà beaucoup circulé sous les formes détournées de tracts, slogans et tags.