Yves Pagès – Au départ, vers 1993, une proposition de Fleuve noir pour la collection « Crime story ». Vingt mille balles – trois mille euros lourds – pour romancer un fait divers. Mercenariat alimentaire, ça ne se refuse pas. Je propose le cas Liabeuf, un « tueur de flics » de 1910, exhumé lors de mes recherches sur Céline. Contrat conclu sur synopsis. Je me documente à fond. Derrière le côté pittoresque à la Casque d’or – un cordonnier injustement condamné pour proxénétisme se forge des brassards cloutés, s’arme d’un surin et part à l’assaut de policiers ripoux –, l’affaire m’ouvre d’autres horizons. C’est alors la vogue des « bandes d’apaches », nouveaux prétextes à criminaliser les « classes dangereuses ». C’est aussi une date clé pour le syndicalisme révolutionnaire, de l’apogée au reflux. D’où la cristallisation d’une émotion sociopolitique inouïe autour du cas Liabeuf, lors du procès puis de son exécution donnant lieu à la dernière émeute populaire d’avant 14-18. Plutôt qu’héroïser ce vengeur désarmant de naïveté, le bouquin mène l’enquête à froid, en réactivant tout le contexte de l’époque, entre confrontations sociales et obsessions sécuritaires. Au final, Fleuve noir ayant sabordé sa collection, le manuscrit est resté plusieurs années dans un tiroir. L’insomniaque l’a publié en 2002, jusqu’à épuisement du stock. Baleine noire le ressort en poche sept ans plus tard…