Yves Pagès – En 1989, j’achève mon quatrième roman, ce sera le premier publié. Avant il y avait eu La Défloraison (jamais montré à quiconque sauf ma mère et ma copine d’alors), puis L’Hôtel des métiers (lu par quelques proches, dont l’ex-futur Christophe Claro, et refusé avec lettre d’encouragements par Michel Braudeau, du Seuil), puis L’insomnie domestique (remarqué par Gilles Carpentier, du Seuil encore, qui avait gentiment tenu à me rencontrer). Le quatrième donc, c’est La Police des sentiments, manuscrit déposé en mobylette (103 Peugeot) auprès d’une dizaine de maisons d’édition du Quartier Latin. Et quelques semaines plus tard, par la poste, un petit mot prometteur d’un certain Bernard Wallet, puis sa voix caverneuse au bout du fil, puis son imposante silhouette en contre-jour dans un bureau de la rue de l’Université. C’est signé pour janvier suivant. Et le livre ? Ça parle d’un jeune asocial, mi-dandy mi-punk, Léopold, qui s’astreint à une amnésie méthodique pour fuir son cercle d’amitié, échapper à l’emprise laborieuse du monde, gâcher ses amours, bref, pour voir ce que ça change de n’être presque plus personne. À la sortie, quelques articles positifs dans la presse, moins qu’on ne l’espérait chez Denoël. Mais au-delà du texte lui-même – dont je garde un souvenir lointainement attendri –, ça marque les débuts d’une conversation ininterrompue avec B. Wallet, lui qui va beaucoup compter vingt ans durant dans ma vie d’auteur, mais aussi d’éditeur – ce qu’il m’a patiemment aidé à devenir. Ça ne nous rajeunit pas, l’ami Bernardo.
un livre, des voix, France Culture, 1990, 28 mn