Yves Pagès – Que Marinus van der Lubbe, jeune communiste hollandais en rupture de Parti, ait incendié le Reichstag en février 1933 hors toute manipulation nazie, c’était l’idée fixe de mon père. Il tenait l’information du libertaire André Prudhommeaux et des marxiens dissidents côtoyés pendant l’Occupation. Adolescent, l’image de ce rebelle incompris m’a marqué, même si son geste isolé n’avait hélas pas produit l’effet recherché. Plus tard, lors de mes recherches sur Céline, l’antihéros Marinus s’est concrétisé avec la découverte de ses « carnets », traduits dans Le Semeur, une revue anarchiste de 1934. Loin de l’archange déchu de la révolte, j’y ai découvert un condensé d’autodidacte prolétarien, sa culture de l’entraide et des luttes collectives, ses doutes et ses espoirs révolutionnaires, sa curiosité pour les peuples frères et ses périples aux confins de l’Est européen. Mais publier ce document exigeait un appareil critique dont j’étais alors incapable de maîtriser la matière. Dix ans plus tard, Charles Reeve, familier du « communisme de conseil » hollandais, a redonné au projet rigueur et enthousiasme. Démonter les délires complotistes concernant Marinus obligeait à revenir aux sources du défaitisme des gauches allemandes, aux motifs inavouables de leur non-résistance face au « putsch démocratique » des hitlériens. D’où ce livre en forme de poing d’interrogation… Peu de polémique dans la Presse officielle, mais une querelle épistolaireavec des paléo-situationnistes. Et dans la foulée, une pièce de théâtre, Labo-Lubbe, qui renfonce le même clou.