Yves Pagès – Dans le sillage des nouvelles de Petites natures mortes au travail, j’ai voulu raccourcir encore, atteindre l’épure d’un personnage ou d’une situation, viser au plus élémentaire du fragment. Avec en tête Fénéon, Michaux ou Kafka, pour n’en citer que trois aux marges de l’art du bref. Le titre, Portraits crachés, revendique la pure esquisse, avec des silhouettes jamais parachevées ailleurs. Souci de préserver ces ébauches narratives à l’état embryonnaire, ne pas leur donner suite, contexte ni ampleur. Parmi ces miniatures, il y en a d’autarciques, mais la plupart ne sont que des idées de roman gâchées exprès, intrigues mort-nées ou univers aux astres presque éteints. Pour demeurer sur cette ligne de crête, entre fulgurance et frustration, éclat éphémère et chute déceptive. Sauf qu’en jouant sur les faux raccords, ces séquences orphelines, sans lien préétabli, prennent une autre dimension dans leur montage bout à bout, au hasard de leurs variations sérielles. D’où cette chambre d’échos dédiée « à la première personne du pluriel », un échantillon d’humanité non représentatif, un « nous » fluctuant au plus près de son hétérogénéité – adapté à six voix au théâtre depuis. Seul regret, j’aurais peut-être dû attendre pour décupler les ramifications de cette multitude. Au lieu de ça, en fin de volume, j’ai adjoint un choix d’articles parus dans Il Manifesto, l’envers théorique du même décor.