Né à Bruxelles en 1890, Victor N. Kibaltchitch, fils d’exilés anti-tsaristes, signe dans la presse libertaire dès l’âge de 18 ans sous ce pseudo programmatique : Le Rétif. En rassemblant ses premiers articles dans un livre aujourd’hui épuisé, j’ai voulu mettre au jour la spécificité du courant anarchiste individualiste à travers une de ses plumes les plus argumentées. Et distinguer, dans cette sensibilité anti-ouvriériste, une critique couplée de la domination et de la servitude volontaire, un éloge de l’illégalisme « conscient » contre l’attentisme révolutionnaire et une valorisation élitiste de la marge comme « libre association des égoïsmes » au sein d’expériences communautaires. À ce recueil, s’ajoute un inédit sur Nietzsche, datant de 1917, déjà signé Victor Serge, qui annonce l’adieu de l’auteur à son milieu d’origine. Mais on s’étonnera que la plupart des textes de jeunesse ne figure pas dans les œuvres politiques (soi-disant) complètes de la collection Bouquins. Volonté sectaire de minorer l’importance des convictions précoces du bolchevique anti-autoritaire qu’il fut par la suite, souvent à ses dépens. Sa collaboration au Crapouillot de 1938 sur l’Anarchie donne pourtant à méditer. Il y moque le ghetto des «en-dehors» libertaires tout en acceptant qu’un autre article leur rende hommage. Preuve d’une rare ouverture d’esprit. Ou d’une schizophrénie fascinante à laquelle Jean-Luc Sahagian a consacré un bel essai, en extraits ici même.