Yves Pagès – Ce roman-là était plutôt mal parti… sur trois pistes a priori inconciliables. D’abord un essai polémique visant à déconstruire par l’absurde la morale de Kant à partir des intuitions d’un gamin de onze ans jouant à l’apprenti philosophe. Ensuite, le récit d’un fils de projectionniste dont les souvenirs auraient été tellement brouillés par des extraits de film qu’il n’arriverait plus à distinguer sa mémoire intime des images parasites semant le trouble en lui. Dernière piste, revenir sur l’incendie du collège Edouard Pailleron, en février 1973 (vingt morts suite à l’embrasement du CES préfabriqué), du point de vue d’un témoin du drame, en l’occurrence un collégien fugueur, bientôt soupçonné de complicité dans la mise à feu. Pour arriver à faire converger ces envies disparates, il a fallu amasser de la documentation : journaux, film et musiques du début des années 70, et puis échafauder, renoncer, recoller les morceaux épars, laisser reposer encore. Plusieurs années de latence avant que la sédimentation ait fait œuvre clandestinement et prêté consistance à une matrice générale. Pas de plan détaillé, juste un ensemble flou où tous les points de départ ont l’air de tenir ensemble. Alors j’ai repris le « je » transversalement infantile du Théoriste et j’ai foncé à l’aveuglette avec ma seule boussole d’écriture, les associations d’idées qui sont déjà contenues dans la langue.
du jour au lendemain, France Culture, avril 2008, 38 mn