Yves Pagès – On pardonne au Voyage au bout de la nuit d’être génial, pour mieux rejeter le reste, selon une césure idéologique évidente. Alors pourquoi, à 18 ans, j’adorais ça en bloc, toute l’œuvre de Céline, malgré ses infamies pamphlétaires et son bluff victimaire après l’Occupation ? Dilemme intérieur qui m’a coûté cinq ans de doctorat. Pour interroger la place du politique, au-delà du pseudo-raccourci de « l’anarchiste de droite », il a fallu revenir aux sources de l’imaginaire célinien, refoulé par le trauma amnésiant de 14-18. J’ai compris que sa grille de lecture tenait à un décalage (ana-)chronique avec sa propre époque, hiatus qui lui a permis de satiriser, ausculter, réinventer la réalité immédiate à travers la lentille déformante d’un survivant de la Belle Époque. Et ce survivant-là est demeuré écartelé entre les désillusions du réfractaire anarchisant et le poids mort du conservateur multiphobique. Ces deux extrêmes originels n’ont cessé de tanguer en lui sans se rejoindre jamais. Ambivalence créatrice qui endosse deux rôles principaux : le libertaire se terrant à mots couverts dans l’implicite de la fiction, et le réactionnaire monopolisant le crachoir polémique à voix tonitruante. Thèse sous forte influence deleuzienne, à une époque où ça faisait tache. C’est devenu un livre au Seuil, grâce au soutien précieux de Michèle Perrot. Et puis basta… à part de rares articles ultérieurs, j’ai coupé les ponts avec toute étude de style universitaire.
lectures de Bagatelles
par V. Serge & G. Henein.
célébration célinienne
un faux débat piégé